RETOUR SUR BOMBE HUMAINE

Histoire Naturelle

parue dans la revue TIC-TAC (n°4, 1995)

• Les services spécialisés de l'État recherchent le corps d'un homme décédé de mort naturelle et correspondant à un profil social précis. Appel est fait auprès des organismes locaux en connections avec les services de police et de gendarmerie. L'ordre vient de la hiérarchie supérieure de l'État en accord avec les services dont l'activité de manipulation est disposée à organiser tout type d'expérience sur la population.

• Découverte du corps sans vie d'un homme d'une quarantaine d'années. Célibataire, cadre licencié, sans enfants, rapports distants avec la famille. Le corps est ramené sur la capitale.

• Dans la semaine qui suit la mort d'un jeune dans un commissariat de police - assassinat qui sera suivi de protestations et d'affrontements avec la police - un homme pénètre dans une école maternelle de la ville dont est maire le principal conseiller en communication de l'État. Le choix d'une ville aisée n'est pas secondaire : ce maire doit y acquérir une notoriété. Le supérieur hiérarchique du maire, à savoir le président du conseil général , et à l'époque chef des forces de police au niveau national, pourra justifier de ses comportements, la prise d'otages d'enfants issus de familles aisées "ressoudera le corps social".

• L'homme qui a pénétré dans l'école est masqué... Il restera masqué durant toute l'opération le visage dissimulé par une cagoule noire. Il aveugle les fenêtres d'une salle, et engage des pourparlers exigeant la livraison d'une importante quantité d'argent.

• L'institutrice en charge de la classe au moment de l'intrusion de l'homme masqué se disant porteur de plusieurs kilos d'explosifs et d'un système de mise à feu s'occupe de calmer les enfants et d'engager les premiers moments de négociation. Cette institutrice, malgré ce que rapportera la presse par la suite, est une remplaçante de fraîche date. Sous les caméras, le maire va plusieurs fois à la rencontre de l'homme masqué. Un médecin vient porter aide à l'institutrice : il s'agit d'une femme présentée comme étant membre du corps des sapeurs pompiers. Elle est liée aux services spéciaux.

• Les commandos de la police nationale circulent au milieu des journalistes et s installent sur les toits d'une manière ostentatoire.

• Prétendument à l'insu de l'homme masqué, une caméra est installée dans la salle de classe. La supposée femme médecin affirmera par la suite qu'une boisson chargée de soporifiques sera apportée au preneur d'otages.

• Le matin du troisième jour alors que l'école est entourée de plusieurs centaines de journalistes, ordre leur est donné de se retirer à 300 mètres du bâtiment Dans les instants qui suivent, les autorités rapportent que les commandos sont intervenus et ont abattu l'homme avec une arme munie d'un silencieux. Un journaliste affirmera, curieusement, avoir entendu les trois faibles détonations. Le corps est évacué immédiatement par les hommes du commando, eux-mêmes masqués. Les caméras de télévision pénètrent dans la salle de classe et filment une femme de ménage nettoyant le sol et effaçant ainsi les traces ; cela au détriment des plus élémentaires règles d'investigation. Le chef des forces de police publie un communiqué de victoire. Les explosifs ne seront jamais présentés physiquement à la presse.

• Les forces de police révèlent le nom de l'homme masqué. La famille , comme c'est son droit demande à voir le corps. Demande refusée : le motif invoqué est que les impacts des balles ont défiguré le visage de l'homme à tel point que cela serait difficilement supportable pour la famille. La cassette du film prétendument enregistrée à l'insu de l'homme masqué disparaît. Elle restera introuvable.

• Dans le mois qui suit, des articles de presse retrouvent la trace de l'homme masqué en la personne d'un individu ayant tenté d'attaquer des banques dans le sud du pays sous la menace d'explosifs. La nouvelle fait le tour du pays. Un journaliste se rend dans la ville en question, retrouve les employés de banques qui tous démentent de tels événements.

• La sœur de l'homme présenté comme étant le preneur d'otages réitère sa demande de voir le corps de son frère et menace les autorités de poursuites en cas de refus. Celles-ci cèdent : le visage de l'homme ne présente aucune trace de balles. Pourtant les rapports de police parlent de 3 coups de feu tirés à bout portant par une arme de calibre 9 mm.

• Plus d'une année passe avant qu'un organe de presse rende publics ce qu'il prétend être, captés par radio, les éléments sonores de l'exécution de l'homme masqué. A l'occasion de cette publication, on apprend que le policier désigné pour abattre le preneur d'otages avait été mis à pied quelques mois auparavant pour avoir utilisé abusivement son arme. Cet homme dont la carrière est en sursis acceptera ce rôle. La famille qui le poursuit pour assassinat, dans le cadre d'une procédure se soumettant à la version du chef de la police, verra ce policier acquitté lors de son passage devant le tribunal.

• Alors qu'un syndicat d'avocats tente de remettre en question la thèse officielle à propos d'une supposée légitime défense dont aurait fait usage le policier désigné, en parlant d'exécution sommaire, le chef des forces de polices les menace et menace des plus graves poursuites judiciaires quiconque s'aventurerait à émettre des suspicions sur cette affaire .

• Le maire de la ville est un héros. Le chef des forces de police jusqu'alors malmené pour ses excès retrouve toute sa crédibilité. Les exactions antérieures des policiers qui avaient soulevé quelques tollés sont oubliées. Les organes de manipulation et d'intoxication engrangent une nouvelle expérience pleine d'enseignement.

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Question : Mais alors qui est l'homme dans l'école ?

Réponse : De la même équipe que ceux qui portent des cagoules et qui prétendent l'avoir abattu.

Question : Pourtant, on a vu une civière sortant un corps de l'école ?

Réponse : C'est exact, mois le corps était recouvert d'un drap.

Question : Et les explosifs ?

Réponse : Les explosifs sont à la disposition de n'importe quel corps de police Si tant est qu'il y en ait eu, on n'aura jamais vu ce prétendu matériel ni à la télévision, ni dans la presse. Alors même que celles-ci sont particulièrement zélées pour présenter avec l'aide de la police, le maigre butin du cambriolage ou la saisie d'un stock de drogue.

Question : Un coup comme ça pour une simple histoire de politicien semble vraiment exagéré.

Réponse : C'est exact. Les politiciens sont des gens de passage au milieu d'institutions et d'organismes stables qui mènent des perspectives à long terme et souvent indifférentes du personnel politique momentanément en place. Par exemple, l'organisation des services spéciaux est largement indépendante des pouvoirs politiques. Il se trouve parfois qu'il y ait intérêt. commun et besoin réciproque ; c'est le cas. D'autant qu'en l'occurrence il fallait que des personnalités apparaissent publiquement et que les médias soutiennent l'affaire. Ce qui n'est pas toujours le cas.

Question : Vous délirez.

Réponse : Bien sûr. Autant que ceux qui ont reconnu post-festum que la jeune femme accusant les soldats irakiens de tuer les bébés dans les hôpitaux de Koweit-City était en fait la fille de l'ambassadeur US et que l'information était fausse. Autant que ceux qui avouent aujourd'hui que des services spéciaux ont délibérément fait des expériences de contamination bactériologique sur les populations de certaines villes américaines. Autant que ce qui affirmaient que derrière les bombes de la banque de l'Agriculture à Milan et de la gare de Bologne il y avait la main des services secrets. Autant que ceux qui ont fini par admettre que les destructions à l'explosif d'un relais de télévision et de lignes à haute tension en Bretagne dans les années 70 étaient l'œuvre de la DST.

Question : Qu'est ce que vous prenez comme cachet ?

Réponse : Je suis pour l'instant encore en observation.

Cagoule Noire & Carte Blanche
VILLACH Paul 
Les enfants d'une école maternelle sont pris en otage par un homme revêtu d'une cagoule noire qui le dissimule et qu'il ne quittera pas. Le pays vit pendant 48 heures le calvaire des petits par médias interposés. Les réflexes attendus se déchaînent. Or, pour peu qu'on fasse attention à certains indices, une version effrayante prend corps, bien différente de la version officielle. Laquelle est la bonne ? Ainsi malgré les puissants moyens technologiques d'aujourd'hui, ou plutôt grâce à eux, un gouvernement a-t-il désormais "carte blanche" pour livrer la représentation des faits qu'il veut, sans craindre d'être contredit. Que reste-t-il au lecteur-téléspectateur pour résister à la mythologie d'un pouvoir ? 
18.00 € 144 pages 21 x 15 cm 
Imprimé et paru en 2005 
ISBN : 2-7504-0632-3 

Par ailleurs, un film qui pourrait reprendre  des éléments de ce roman est en préparation (réalisateur Maurice Barthélémy). Il devrait sortir en 2007. Quelle en sera la chute ?

Dans un roman, tout peut être vrai, sauf les noms et les dates.

Dans l'histoire, c'est l'inverse.

http://raid.admin.free.fr/neuilly.htm

http://www.humanite.fr/journal/1993-07-20/1993-07-20-680898

http://comme.des.manches.free.fr/retour_sur_bombe_humaine.htm
dernière modification le 30 avril 2007

 

le lien original a disparu
http://perso.wanadoo.fr/miscel/parano/bombe%20humaine.htm
Il est toujours disponible ici
http://web.archive.org/web/20041228000751/perso.wanadoo.fr/miscel/parano/bombe+humaine.htm